De Mohammed V à Mohammed VI
En quelques années de règne, le roi Mohammed V réussit un presque miracle : il est I'homme qui a libéré le Maroc, il fait l'unanimité autour de son nom, de ses réelles qualités. Il utilise les progrès que le protectorat a pu apporter au pays et a l'intelligence de permettre aux étrangers de continuer leurs entreprises, conscient de ce qu'ajoutent ces capitaux à l'économie de Maroc.
Il n'aura malheureusement pas le temps de mener à terme son projet de souveraineté démocratique. Le 26 février 1961, il meurt sur une table d'opération. Bien des Marocains le pleuraient encore des décades plus tard... Son fils Hassan Il monte sur le trône.. et tout change. Le nouveau roi est un homme d'une rare culture, arabe comme française. Il a été formé par son père, a une très haute conscience de son pouvoir et règne avec autorité sur toutes les affaires politiques, religieuses et militaires. Hassan vit royalement. il ne cache pas ses sympathies francophiles. Pour une jet set parfois voyante, il organise des fêtes mémorables, de fastueuses diffas. Il voyage. Cela choque une population, dont une grande partie vit « au-dessous du seuil de pauvreté », comme on l'écrit aujourd'hui i, et sans la moindre assistance médicale. Les intellectuels commencent à dire tout haut ce que les pauvres n'osent pas formuler. Et les factions endormies se réveillent. Hassan Il échappe par miracle à des émeutes qui le visent, à un attentat jusque dans son palais, à l'attaque de son avion personnel. I'Istiqlal, qui avait milité pour l'indépendance aux côtés de son père, se rebelle. Comme dans toute révolte, un intellectuel, prend la tête des factions, Mehdi ben Barka. Plus grave pour la couronne, une partie de l'armée, menée par le général Oufkir, soutient ben Barka. Jusqu'en 1972, les répressions sont dures. Les deux hommes disparaissent et leurs familles sont exilées. En 1975, Hassan lance une action géniale. Les Espagnols (le Polisarjo) lui disputent toujours le Sahara occidental. Alors le roi prend la tête d'une « marche verte » et, suivi d'une troupe qui grossit à chaque village, marche sur le Sahara. Les gens simples ont besoin d'images. Comme la « longue marche » de Mao avait rassemblé la Chine derrière lui, la « marche verte » de Hassan Il enchante le peuple marocain, qui oublie provisoirement ses griefs. Puis la propagande monte habilement en épingle la chance qu'il a eu d'échapper aux attentats. Sans nul doute, Allah le protège, Il a la « baraka ». En Europe, il a une cote excellente. Il ouvre largement le pays aux investisseurs étrangers, qui couvrent la côte Atlantique et les abords des villes impériales (surtout Marrakech) d'hôtels - clubs, de golfs. Au point d'agacer souvent l'élite marocaine. C'est un fin politique et il est vrai - entre autres - que le Maroc affichera toujours un islam très modéré et que le roi se pose quasiment en médiateur entre la Palestine et Israël. Cependant, malgré la spectaculaire « marche verte », une guérilla larvée continue avec le Polisario, et l'ONU commence à parler d'intervention... En 1990, le Maroc donne donc des signes de détente intérieure. Le roi libère quelques prisonniers politiques ; une Chambre basse est élue au suffrage universel et les premières élections du pays ont lieu en 1997. Pas trop manipulées... Le 23 juillet 1999, Hassan Il meurt « des suites d'une longue maladie » et son fils aîné, Mohammed VI, monte sur le trône. Il a trente-cinq ans, et l'habitude de représenter son père depuis l'âge de huit ans. Il a fait ses études à l'école du palais et, contrairement à la plupart des jeunes Marocains nantis, à la faculté de droit de Rabat ; il a aussi travaillé avec Jacques Delors à Bruxelles et soutenu sa thèse de droit à Nice, sur le thème de la coopération de l'Europe et du Maghreb. Il trouve une situation intérieure désolante. Seulement cinquante pour cent des hommes et trente pour cent des femmes sont alphabétisés ; un quart de la population urbaine est au chômage ; l'assistance médicale est toujours inexistante... Le début de son règne est spectaculaire. En quelques semaines, il se débarrasse de Driss Basri, ministre de l'Intérieur et - on le dit assez haut homme de main très impopulaire, autorise le retour d'Abraham Sarfaty et semble vouloir enfin lancer le Maroc vers la modernité, et une politique sociale. Il s'entoure de jeunes cadres, qu'il connaît depuis ses études. La Bourse de Rabat devient une place monétaire moderne. En quelques mois, sa popularité grimpe en flèche. Lorsqu'il conduit une cérémonie officielle en grande tenue traditionnelle blanche, il rassure la vieille garde. Lorsqu'il pilote sa voiture, se promène dans les rues en chemisette, serre des mains, embrasse les vieilles, il ravit le peuple...